Mory Kanté
En 2004, notre agence est choisie pour créer l’affiche de la tournée européenne de Mory Kanté, musicien guinéen issu d’une longue tradition de Griots. À cette époque, l’artiste incontournable de la scène « Word » semble renouer avec ses racines en sortant un album acoustique. Exit les sons électros, la kora et les instruments traditionnels sont à l’honneur. Cet album, c’est « Sabou ».
Au centre de l’affiche, Mory Kanté vêtu d’un grand boubou blanc, les mains levées vers le ciel, il est à la fois imposant et majestueux. En dessous, nous ajoutons une frise d’instruments de musique mandingues, la composition est simple, pure, colorée.
L’affiche plait beaucoup à Mory Kanté, et nous aussi, nous l’aimons bien, au point de la coller sur l’un des murs en béton de l’agence. Elle est tout près de mon bureau, je la vois tous les jours. Pour rendre service au producteur, nous stockons les affiches au bureau et gérons les expéditions vers les différentes salles de concert. Nous ne sommes pas très rôdés à cet exercice logistique : coursiers, transporteurs nationaux et internationaux vont et viennent, en un flux soutenu.
Un jour, le manager m’appelle pour me dire que Mory Kanté aimerait bien emporter quelques exemplaires de l’affiche chez lui, il la voudrait dans sa maison de Conakry. Un coursier doit passer les chercher, on ne sait pas bien quand.
L’agence est alors située dans un petit immeuble industriel, près de la Bastille. Nous utilisons un monte-charge en guise ascenseur. C’est lieu assez branché dans le style « indus’ », mais l’immeuble n’est pas toujours bien entretenu. L’éclairage des parties communes fonctionne rarement, notre palier est régulièrement plongé dans l’obscurité.
Et puis, on sonne à la porte. J’ouvre et me retrouve face à un petit homme, d’un certain âge, tout de blanc vêtu, en survêtement et casquette. Il fait sombre et je ne distingue pas bien son visage…
– Je viens pour l’affiche
– Ah oui, vous êtes le coursier, on nous a prévenus que quelqu’un passerait de la part de Mory Kanté.
L’homme éclate de rire.
– Mais je suis Mory Kanté !
Je suis morte de honte, je n’ai pas reconnu l’artiste que j’ai pourtant sous les yeux, chaque jour. Je le connais immense et en vêtements traditionnels… Ma confusion est totale, il a l’élégance de ne pas s’offusquer, mais la puissance de son rire résonne encore dans mes oreilles !
Anne Chicoteau / 02.2025