Surprise

Encore haute comme trois pommes, mon frère aîné m’a invitée à réfléchir au plan de la maison de nos parents. 

Pour apporter quelques éléments de contexte sur la famille, nous étions six : deux parents et quatre enfants, trois garçons, puis une fille (moi). Les parents ont fait construire la maison en question, et toute la famille s’y est installée quand j’avais tout juste deux mois.

Un jour donc, mon frère me parle de la disposition des différents espaces communs, et poursuit avec les chambres : sur la partie droite du couloir, trois portes de chambres d’enfants, identiques, et, à gauche, la chambre des parents et la chambre d’amis, que notre mère appelait la chambre de réserve. Trois chambres d’enfants… malgré mon très jeune âge, je connaissais ma position (assez confortable) de quatrième enfant. Je compris alors que, sans l’ombre d’un doute, il manquait une quatrième porte sur le côté droit du couloir. Ce n’est pourtant pas compliqué de compter jusqu’à quatre, comment mes parents avaient-ils pu m’oublier ? Et en fait, pourquoi moi ? Ça pouvait aussi bien être la chambre de mon frère, sans blague ! 

Il ne s’arrêta pas, il conclut de façon cruelle « tu vois, le plan de la maison a été dessiné selon la composition de la famille, ça veut simplement dire que tu es un accident ! »

Après quelques instants de doute, suivis d’un profond sentiment d’abattement… je décidai d’en avoir le coeur net.

— Papa, il n’y a que trois chambres d’enfants dans cette maison, c’est vrai que je suis un accident ? 

— Non, ma chérie, pas un accident, tu es une bonne surprise ! 

J’ai souvent repensé à cet épisode et me suis demandé pourquoi mon frère, qui, par ailleurs, était extrêmement gentil et attentionné, m’avait joué ce mauvais tour. J’ai supposé qu’il me pensait sans doute trop bien installée sur mon piédestal de petite dernière – seule fille – princesse autoproclamée, qu’il m’avait sans doute rendu un grand service, que sans ses petites escagasseries et celles des deux autres frères (qui n’étaient pas en reste), je serais devenue une enfant gâtée, une peste insupportable. 

Avec un peu de recul, je pense qu’il a juste voulu me faire tourner en bourrique, une fois de plus… et que les grandes intentions imaginées pendant toutes ces années ne collaient pas bien avec l’ado bêta (si, si) d’une douzaine d’années ! 

J’ai fini par accepter que la porte manquante était bien celle de ma chambre. Et puis au fond, ça me convient bien de me dire que je suis un joyeux imprévu ! 

Anne Chicoteau / 04.2025

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