La Théorie de la crête
Les dîners entre amis sont des moments privilégiés de partages d’expériences. Parfois, sans que l’on se souvienne précisément de l’enchaînement des plats ou des propos, la conversation nous emmène sur des terrains inhabituels.
Ce soir-là, une dizaine de joyeux convives entouraient la table. Le cliquetis des couverts accompagnait rires et apartés. L’ambiance était teintée de cette familiarité qui permet aux langues de se délier.
Et, nous nous sommes mis à parler… de la reproduction des poules (va savoir). Personne n’était rigoureusement au fait du sujet. Alors, nous sommes partis de la poule (quid de l’œuf ou de la poule). La poule pond un œuf, elle le couve et, au bout d’un certain temps, le poussin naît. Oui, mais, il faut que l’œuf ait été fécondé, et là, la question se corse. L’œuf doit être fécondé avant la ponte.
Un silence s’installe. L’appareil génital du coq n’est pas apparent. Rétractile ? Chacun y va de sa théorie, mais celle qui retient l’attention générale est, sans conteste, la théorie de la crête.
Notre ami, après nous avoir calmement écoutés, nous explique que nous sommes loin de la vérité. La crête fait partie de l’appareil génital des gallinacés. Pour féconder la poule, le coq frotte sa crête sur celle de la poule, lui envoie des coups de bec dans le cou, et c’est tout. Face à nos mines d’abord dubitatives, puis hilares, il nous raconte comment, pendant ses vacances à Belle-Île-en-Mer, il a pu, à plusieurs reprises, observer le phénomène.
Un fou rire général s’installe, il s’agace. Pour finir, nous sortons une encyclopédie (c’était avant internet). Voici ce que l’on peut lire aujourd’hui sur Google : « La reproduction des gallinacés se fait sans pénétration d’un organe dans un autre. L’accouplement consiste seulement dans le rapprochement du cloaque du coq avec celui de la poule, etc. ». Cette définition ne semble pas jouer en faveur de la crête, mais nous laissons une chance au cloaque dont nous ignorons à peu près tout.
Wikipédia nous redonne l’explication, trouvée à l’époque dans l’encyclopédie : « Le cloaque est un organe en forme de canal présent chez les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et certains mammifères. Chez les oiseaux, il est situé sous le croupion et associé à un système glandulaire. » La messe est dite, la voie « crêtienne » n’a plus aucune chance.
Je connaissais bien la famille du théoricien et j’avoue m’être longtemps posé la question de l’origine de l’histoire de la reproduction des poules. J’ai imaginé que c’était la façon poétique qu’avait trouvée une maman pour répondre à la curiosité naturelle d’enfants en bas âge. Mais un jour, je n’ai plus résisté et, saisissant l’occasion d’un dîner auquel était conviée la mère de notre ami, j’ai innocemment lancé la conversation sur le mystère de la reproduction des gallinacés. Je vous laisse deviner sa réponse, assurée, basée sur l’observation des poules pendant les vacances à Belle-Île-en-Mer : « Le coq et la poule se reproduisent en frottant leurs crêtes l’une contre l’autre ».
J’ai alors réalisé à quel point les croyances familiales ont la peau dure !
Anne Chicoteau / 05.2025