Patronne en mini-jupe
Dix-huit ans, je viens de décrocher mon premier boulot d’été. Enfin, disons que mon frère, tout jeune véto, me propose de devenir son assistante pendant un mois durant lequel il effectue un remplacement. C’est un bon deal, il a besoin d’aide et de compagnie, il va même me rémunérer !
Le 31 juillet, nous prenons fièrement la route, tous les deux, direction Casteljaloux, dans le Sud-Ouest de la France. Nous habiterons dans la maison du vétérinaire. Il nous laisse le chien, un berger allemand avec lequel je me suis très bien entendue, j’ai oublié son nom.
Il y a aussi des poules dans le jardin. Et des melons, des montagnes de melons, livrés par des métayers reconnaissants. Un festin quotidien, une overdose sucrée dont je garde encore l’écoeurement. Jamais plus, depuis mes dix-huit ans, je n’ai mangé de melon.
À notre arrivée, nous sommes chaleureusement accueillis par le véto et sa femme. Nous visitons les lieux. Le véto transmet dossiers et recommandations à mon frère. Sa femme m’explique tout ce que je dois savoir pour la maison, le jardin, les animaux, la réception des clients, l’entretien du cabinet et la stérilisation des instruments chirurgicaux.
En fin de journée, avant leur départ en vacances, nous partageons un rafraichissement sur la terrasse. C’est à ce moment-là que nous rencontrons Papou, le grand-père, albigeois pur jus, rocailleux à souhait, prêt à partir, sa valise à la main, mais l’oeil méfiant.
— Ce sera vous la patronne ici maintenant ?
— Oui (je manque d’assurance)
— Ah… et les poules, qui va s’en occuper ?
— Moi (pas très crédible avec ma mini-jupe et mes baskets)
— Ah… Et les poussins, qui va s’en occuper ?
— Moi (ma réponse à peine audible finit de le convaincre d’un désastre imminent)
— Tout ça va crever !
J’encaisse…
Pourtant, pendant ce mois d’août, je me suis investie dans mon rôle improvisé. Les animaux ont tous survécu, ou presque, quelques poules ont connu un sort plus funeste, victimes d’un poulailler parasité. Mais, j’ai fait de mon mieux. J’espère que Papou a été surpris de constater que « la patronne » en mini-jupe pouvait aussi s’occuper des poules et des poussins.
Anne Chicoteau / 03.2025