Les Bikinis du Ritz
Nous vivons une époque légère, avant le 11 septembre. J’ai une trentaine d’années. Jeune consultant, je dirige une belle équipe, je roule en voiture de fonction, la vie me sourit.
Mais, j’ai un problème sur un dossier : le client tarde à signer son contrat. Pour débloquer la situation, je lui propose de nous rencontrer pour en discuter. Je l’invite à prendre un café au bar Vendôme du Ritz. L’endroit est à la fois calme, agréable, et idéalement situé, à proximité de son bureau.
Je rentre, je suis en avance. Je rejoins la terrasse du Vendôme. Mon téléphone sonne, mon client a un petit contretemps, il me demande de l’attendre. Tout en lui parlant, je cherche une table libre, sans prêter attention aux clients déjà installés. J’ai un peu de temps devant moi, je passe un nouvel appel.
Le garçon, voyant que je ne suis plus en communication, s’approche et me tend la carte. Je n’ai pas grand-chose à faire et je commence à ressentir une petite faim. Je suis indécis, les
minutes passent. Et, juste derrière moi, une voix grave et sensuelle vient à mon secours :
— si vous ne savez pas quoi choisir, sachez qu’ils font d’excellents bikinis.
Je me retourne pour la remercier et je découvre une femme, d’une beauté à couper le souffle. À l’époque, j’étais plutôt beau gosse, mais Elle … Elle avait les cheveux assez courts, son regard
était dissimulé derrière des verres fumés.
Je lui réponds que je vais sans doute me laisser tenter par quelques toastés ; elle, à son tour :
— Ah oui, les toastés, excellent choix, Monsieur.
Je me redresse, je réalise. La conversation a duré moins d’une minute, je suis électrifié. Je viens de parler avec Claudia Cardinale, ici, simplement installée à une table, un livre posé devant elle.
Le garçon me sort de ma torpeur, un café et, sur les conseils de Madame, je prendrai aussi un toasté. Il me regarde, avec un imperceptible sourire.
Le temps de la commande, elle s’est levée. Elle me salue, avec élégance :
— Au revoir, Monsieur,
— Au revoir, Madame.
Elle s’éloigne. Sa démarche souple fait voler avec légèreté un chemisier soyeux et un pantalon fluide recouvrant de hauts talons. Mais déjà, elle a été rejointe par son staff, elle n’est plus
accessible.
J’ai souvent repensé à ce moment, surréaliste. Je n’ai plus jamais lu quoique ce soit sur elle, pour ne pas altérer l’image que j’ai gardée de cette femme somptueuse, à la voix envoutante.
Et pourtant, je me demande encore : pourquoi ce mot : bikini ? Il n’est nullement mentionné dans la carte du Vendôme ; par ailleurs, l’origine de ce petit encas grillé n’est pas italienne, mais
catalane. J’ai fini par me dire que Madame Cardinale avait sans doute fait preuve d’un peu de malice, face au jeune homme que j’étais.